Jurisprudence - Une fondation de famille panaméenne imposée deux fois sur le même événement ?

Jurisprudence - Une fondation de famille panaméenne imposée deux fois sur le même événement ?

Soumission des actifs d'une fondation de famille aux droits de succession, par classe de bénéficiaires (y compris les petits-neveux/nièces au taux de 25%). Prélèvement de l'impôt sur le revenu sur la distribution ultérieure de la fondation à la petite nièce.

1. Faits

Une fondation de famille du Panama, non déclarée du vivant de la fondatrice, fait l'objet d'un rappel d'impôt par l'Administration fiscale cantonale de Genève ("AFC-GE"), sur dénonciation spontanée. Pour la période avant le décès, elle est traitée par transparence fiscale dans la mesure où la fondatrice est la première bénéficiaire. Dans cette mesure, les avoirs de la fondation sont soumis aux droits de succession. Conformément aux statuts de la fondation, la fondation devient, après le décès de la fondatrice, irrévocable.

Les avoirs de la fondation s'élèvent à CHF 3'197'864. De cette somme, CHF 2'857'864 sont attribués à neuf petits-neveux-nièces de la fondatrice, en qualité de seconds bénéficiaires (soit CHF 317'540 par neveu/nièce). Ces attributions sont assimilées à des legs par l'AFG-GE.

Les droits de succession sont calculés sur ces legs au taux de 24.9%, taux applicables à la classe des petits neveux/nièces. Selon les statuts, les bénéficiaires doivent cependant attendre l'âge de 30 ans avant de pouvoir percevoir la distribution.

A l'âge de 30 ans, une des petites-nièces de la défunte, résidente à Genève (la"Recourante"), demande la mise à disposition de la somme de CHF 317'540 qui lui est due. L'AFC-GE considère que ce montant constitue un revenu imposable et soumet ce montant à l'impôt sur le revenu.

Selon la Recourante, qui conteste la décision de taxation, elle ne saurait subir, sur une même distribution, d'abord des droits de succession, puis l'impôt sur le revenu. Elle affirme qu'un bien acquis au titre d'une succession ne constitue pas du revenu imposable. Ainsi, seuls les revenus cumulés et les augmentations de valeur depuis le décès devraient être imposés comme revenu, mais non le montant total de la distribution.

La Recourante se prévaut également d'une violation liée à l'interdiction du dualisme des méthodes. Il y a dualisme des méthodes quand une autorité fiscale considère une entité (comme une fondation) comme transparente en invoquant l'évasion fiscale pour en déduire un certain traitement fiscal (comme le prélèvement des droits de succession à un moment X), puis comme opaque par la suite, en faisant cette fois prévaloir la réalité juridique, pour pouvoir en modifier le traitement fiscal à son seul avantage (comme le prélèvement de l'impôt sur le revenu à un moment Y).

Selon L'AFC-GE, c'est le moment où la fondation devient irrévocable et perd le statut d'entité transparente sur le plan fiscal qui déclenche les droits de succession. Dès ce moment, les avoirs sont détenus par la fondation, devenue irrévocable et opaque, de sorte que toute distribution, fondée sur ses obligations statutaires, représente du revenu imposable pour le bénéficiaire.

2. Droit

La Cour de justice de Genève ("CJ") admet tout d'abord qu'une augmentation de fortune doit être considérée en principe comme du revenu, sauf si l'accroissement du patrimoine découle notamment d'une succession ou d'une donation. L'un est exclusif de l'autre.

Les distributions à titre gratuit opérées par une fondation de famille à ses bénéficiaires représentent du revenu imposable dès lors que les fondations sont des personnes morales. Ainsi, les distributions d'une fondation s'apparentent davantage à des prestations en argent, provenant de participations. En outre, les distributions, bien que consenties à titre gratuit, ne peuvent être assimilées à des donations si la fondation est tenue à ces prestations en vertu de ses obligations statutaires. L'animus donandi, soit la volonté de donner, fait alors défaut. Dans le cas d'espèce, la fondation de famille était obligée par ses statuts de verser à chaque petit-neveu/nièce ayant atteint l'âge de 30 ans, sa part de 1/9ème.

S'agissant de l'argument principal de la Recourante, selon lequel le montant qu'elle a perçu de la fondation dès l'âge de 30 ans révolus a déjà été soumis aux droits de succession, La CJ considère que l'imposition à ce titre a été effectué dans le chef de l'hoirie, dont la Recourante, en tant que légataire, ne faisait pas partie. Les droits de succession prélevés, qui, prétendument, grèvent les actifs de l'hoirie, ne la concernaient pas.

Enfin, le principe d'interdiction du dualisme des méthodes interdit qu'une autorité fiscale, invoquant l'évasion fiscale, choisisse tantôt la réalité économique d'une situation de faits, tantôt la réalité juridique de ce même complexe de faits, pour satisfaire ses propres intérêts. Toutefois, la CJ considère que ce principe n'est pas applicable en l'espèce dès lors que tant les contribuables (hoirie vs légataires) que les impôts (droits de succession vs impôts sur le revenu) ne sont pas les mêmes.

3. Commentaires

Pour la CJ, la fondation de famille est une personne morale et, de ce fait, le capital qu'elle reçoit au décès de la fondatrice lui est dévolu, sans revenir aux légataires. Les avoirs, bien qu'appréhendés sous l'angle de la transparence fiscale aux fins des droits de succession, appartiennent de manière irrévocable à la fondation immédiatement après le décès.

Sous l'angle du raisonnement fiscal, cette approche nous parait douteuse puisque la transparence fiscale admise par la CJ aurait dû entraîner une dévolution successorale des avoirs en faveur de tous les bénéficiaires de ces avoirs, à des fins fiscales. Il est incohérent selon nous de se prévaloir de la transparence fiscale avant décès, de soumettre les avoirs aux droits de succession prélevés en fonction des classes de bénéficiaires concernées, puis de considérer que les avoirs sont dévolus à la fondation, devenue opaque après le décès.

Selon nous, soit la fondation est l'ayant droit des avoirs au moment du décès en raison de son opacité, soit elle est transparente et les avoirs sont censés appartenir, sur le plan fiscal, à la fondatrice défunte. Dans ce dernier cas, l'analyse du fisc doit alors porter sur l'objectif économique que la fondatrice voulait effectivement atteindre et appliquer les conséquences fiscales en découlant.

Selon la première hypothèse (opacité fiscale), la réalité juridique prévaut au moment du décès et la fondation est l'ayant-droit de ses actifs, le décès n'entrainant aucune dévolution soumise à des droits de succession. Dans ce cas seulement, les distributions ultérieures peuvent être appréhendées fiscalement comme du revenu imposable au moment de la distribution.

Selon la seconde hypothèse (transparence fiscale), la réalité économique l'emporte sous l'angle de l'évasion fiscale, la fondation n'est pas l'ayant-droit, mais à sa place la fondatrice. Les bénéficiaires doivent à leur tour être considérés comme les ayants-droits post-mortem, après soumission des actifs aux droits de succession. Dans le présent cas, l'obligation faite à la fondation de tenir compte de l'âge des bénéficiaires avant toute prestation effective doit, à notre avis, être assimilée à une charge de type testamentaire qui ne remet pas en cause l'attribution fiscale post-mortem des avoirs aux bénéficiaires. Sous réserve du principe de la différence sur l'augmentation de valeur des actifs, c'est à tort que le montant distribué est soumis à l'impôt sur le revenu. La distribution, d'ores et déjà acquise au moment du décès de la fondatrice, aurait en outre dû être considéré comme un élément de fortune imposable dans le chef de la Recourante.

Dans cette mesure, l'interdiction du dualisme des méthodes est selon nous mise à mal, la transparence étant invoquée d'abord pour le prélèvement des droits de succession, puis l'opacité pour le prélèvement de l'impôt sur le revenu (cette approche étant cependant approuvée par une partie de la doctrine). Dans le contexte de la transparence, la CJ aurait dû se prononcer sur la réalité économique visée par la fondatrice, en mettant en place la fondation de famille (mesure de planification successorale et de partage de sa fortune entre ses petits neveux/nièces, report d'une prestation à l'âge de 30 ans, etc.), et assimiler de ce fait, et par transparence, la construction juridique soit à un trust, soit même à un testament grevé d'une charge testamentaire.

En outre, la charge fiscale cumulée (impôt de succession et impôt sur le revenu), potentiellement très élevée, qui résulte de la pratique de l'AFC-GE, pose selon nous également problème sous l'angle du principe de la capacité contributive de la Recourante.

Enfin, la question de savoir si la Recourante a, ou non, supporté personnellement les droits de succession sur la distribution lui revenant, n'est pas traitée de manière claire dans l'arrêt de la CJ. On ne sait pas non plus si la Recourante a ou non déclaré sa part dans la fondation aux fins de l'impôt sur la fortune.

Cet arrêt a fait l'objet d'un recours auprès du Tribunal fédéral. Affaire à suivre.