Fiscalité suisse: tremplin ou obstacle pour les start-ups ?

Fiscalité suisse:  tremplin ou obstacle pour les start-ups ?

Pour preuve, en septembre 2022, près de 4 000 entreprises ont été créées, selon des données fournies par le site start-ups.ch. Ce chiffre représente une hausse de 10.13% par rapport au mois de septembre 2021 et 16.72% par rapport à août 2022 (START-UPS.CHBlog). Pourtant, une ombre fiscale pourrait bien avoir raison, à terme, de cet élan salutaire pour l'économie suisse.

Paysage fiscal - facteur clé

La Suisse offre aux sociétés et start-ups un environnement fiscal à priori intéressant, les taux d'imposition suisses des sociétés étant parmi les plus bas d'Europe. Pourtant, une récente évolution de la pratique fiscale concernant les plans d'intéressement du personnel, impactant les participants à ces plans, entraine en Suisse un niveau d'imprévisibilité et de complexité préoccupant.

C'est à l'occasion de la révision d'une circulaire fédérale à fin 2020, dont les effets sont aujourd'hui pleinement mesurables, que la situation, déjà compliquée, s'est encore complexifiée. Cette dégradation de la situation fiscale pourrait constituer un frein au déploiement en Suisse des start-ups actives dans les technologies de pointe. C'est du moins le ressenti des praticiens et avocats fiscalistes quand ils échangent sur ce sujet avec leurs clients.

Plan d'intéressement du personnel - un atout crucial

Pour pouvoir se développer, les start-ups doivent rapidement s'entourer d'employés spécialistes et qualifiés, puis les fidéliser. C'est pourquoi la fiscalité de ces personnes, parallèlement à celle de la start-up, est un critère déterminant dans le choix d'un lieu d'implantation et d'un système fiscal.

Comme elle ne dispose alors que de moyens financiers limités pour rémunérer ses talents, la start-up tablera sur des plans d'intéressement du personnel, tels que des plans d'options ou d'actions. A côté d'un salaire en espèces, ces plans donneront droit aux participants à des titres (actions, bons de participations) de la société, gratuitement ou à un prix convenu. Les employés concernés y trouveront leur compte puisqu'en contribuant au développement de la start-up et, ils participeront à l'augmentation de la valeur du titre.

Une pratique fiscale trop complexe

La fiscalité applicable aux plans d'intéressement doit ainsi être attractive, maîtrisée, et ses conséquences faciles à anticiper pour les participants.

En fiscalité suisse, on distingue deux moments clés : (i) l'octroi du titre et (ii) la vente de ce titre, laquelle peut intervenir des années après l'octroi. L'octroi du titre est imposé comme du salaire, sur la différence entre la valeur du titre et le prix payé par le bénéficiaire. Le gain en capital (potentiel) résultant de la vente du titre (différence entre la valeur du titre au moment (a) de la vente et (b) de l'octroi) est, quant à lui, exonéré d'impôts.

Les principes paraissent simples, mais la pratique fiscale a développé un mode d'imposition bien plus complexe. L'octroi du titre génère bien du salaire imposable. En revanche, le gain en capital réalisé au moment de la vente peut, dans certains cas, au lieu d'être exonéré, représenter également du salaire.

Cette pratique peut être résumée comme suit. Si, lors de l'octroi, le titre est évalué selon une valeur transactionnelle de marché (par exemple une valeur vénale déterminée lors d'une vente ou d'un tour de financement antérieur ou en cours), l'exonération du gain en capital au moment de la vente est pratiquement assurée.

En revanche, en l'absence d'une valeur vénale récente, les actions sont valorisées par le fisc suisse via une formule (la méthode dite des praticiens). Si une valeur de formule est utilisée, le gain réalisé au moment de la vente sera considéré comme du salaire pour la partie du gain supérieure à la valeur de formule. La nouvelle pratique prévoit qu'après une période de détention de cinq ans par le participant, le gain en capital est pleinement exonéré. Toutefois, certains événements, tels qu'une vente substantielle de titres par d'autres actionnaires, une vente de la société ou une entrée en bourse, peuvent, s'ils interviennent pendant les cinq ans, interrompre ce délai de manière définitive. Dans ce cas, le gain en capital lié à la vente ultérieure ne pourra plus jamais être exonéré et sera (en grande partie) assimilé à du salaire.

Une fiscalité qui crée des inégalités

La situation des bénéficiaires de plans d'intéressement est ainsi confuse et difficile à prédire. La méthode d'évaluation du titre au moment de l'octroi échappe à leur contrôle. Ils n'ont en outre aucune emprise sur les événements décrits ci-avant (vente des titres par d'autres, vente ou entrée en bourse de la société), lesquels interrompent le délai de cinq ans et anéantissent tout espoir d'une exonération fiscale.

Ainsi, au sein d'une même société, les employés les plus chanceux auront obtenu des titres de la société évalués sur la base d'une valeur vénale, et d'autres sur la base d'une valeur de formule. Les premiers verront leur gain en capital totalement exonéré au moment de la vente, et les seconds pourraient subir une imposition de ce gain.

Pour rendre le sujet encore plus épineux, les bénéficiaires de plans d'intéressement, domiciliés dans d'autres cantons que celui du siège de la société, peuvent se voir appliquer des principes et des méthodes d'évaluation de leurs titres différents par le fisc du canton de domicile, créant de nouvelles inégalités en matière d'exonération des gains en capital. Il serait par exemple souhaitable que l'évaluation du titre, agréée par le canton du siège de la start-up, s'impose aux autres cantons.

Simplification de la pratique fiscale

Pour rivaliser avec d'autres États, tels que les Etats-Unis, la France ou l'Allemagne, où l'imposition des plans d'intéressement est plus transparente et moins aléatoire, la Suisse serait inspirée de simplifier sa pratique fiscale pour ne pas compromettre son attractivité fiscale.

En conclusion, la pratique fiscale actuelle crée des inégalités et sème un sentiment d'insécurité. Certaines start-ups s'interrogent de ce fait sur leur avenir en Suisse puisqu'un des atouts principaux de sa fiscalité, soit l'exonération des gains en capital, ne peut pas être un argument de recrutement. Pour pallier les incertitudes résultant de la pratique en place, il sera nécessaire de la simplifier par la mise en place d'un mécanisme permettant aux participants davantage de prévisibilité quant à leur situation fiscale, entre l'octroi et la vente de leurs titres.