L'action partielle : Une stratégie trop souvent négligée

L'action partielle : Une stratégie trop souvent négligée

Le Tribunal fédéral a récemment rendu diverses décisions à ce sujet.

Allègement des exigences formelles

En particulier, les exigences formelles d'une action visant le recouvrement partiel de plusieurs prétentions distinctes ont été réduites. Initialement, le créancier agissant en recouvrement partiel de ses prétentions devait préciser 1) l'étendue de ses diverses prétentions et 2) leur ordre de priorité. Le Tribunal fédéral a renoncé à ces exigences (ATF 144 III 452, consid. 2.4). Dorénavant, le créancier devra seulement alléguer avec suffisamment de précision l'existence d'une créance supérieure ("übersteigende Forderung"). Par exemple, un mandataire commercial dispose d'une créance totale de CHF 40'000.- contre son mandant, dont CHF 25'000.- pour des honoraires impayés et CHF 15'000.- pour des frais avancés pour le compte de son mandant (impenses). En réduisant ses prétentions totales à CHF 30'000.-, le mandataire pourra bénéficier de la procédure simplifiée sans devoir préciser exactement quelle partie de ces CHF 30'000.- a trait à ses honoraires impayés ou à ses impenses, ni l'ordre de priorité des prétentions y relatives. Il suffira qu'il précise, dans son écriture judiciaire, que sa créance totale est supérieure à CHF 30'000.-.

Cette simplification, avec les réductions de coûts et de temps qu'elle implique, est un atout incontestable de l'action partielle, qui vient s'ajouter aux autres avantages – souvent oubliés - d'une telle action.

Procédure simplifiée

Comme indiqué ci-dessus, l'action partielle offre au créancier réduisant ses prétentions à CHF 30'000.- ou moins la possibilité de bénéficier de la procédure simplifiée. Par opposition à la procédure ordinaire (applicable lorsque la valeur litigieuse dépasse CHF 30'000.-), qui est généralement longue et coûteuse, la procédure simplifiée tend à faire trancher le litige par le juge de manière simple et rapide. En outre, le créancier peut réduire ses prétentions dans le seul but de bénéficier de la procédure simplifiée, sans pour autant commettre un abus de droit (arrêt du Tribunal fédéral 4A_111/2016 du 24 juin 2016, consid. 4.6).

Possibilités limitées de demandes reconventionnelles

Le créancier qui réduit le montant de ses prétentions en justice pour bénéficier de la procédure simplifiée limite, ce faisant, la possibilité de son débiteur de déposer des conclusions reconventionnelles contre lui. La demande reconventionnelle permet au défendeur dans une procédure civile pendante de prendre à son tour des conclusions (reconventionnelles) contre le demandeur. Le dépôt d'une telle demande n'est possible que si la prétention invoquée par le défendeur contre le demandeur principal est soumise à la même procédure. Ainsi, admettons que dans notre exemple ci-dessus, le mandant dispose d'une créance en responsabilité de CHF 50,000 contre le mandataire. Le mandant ne pourra faire valoir sa créance reconventionnelle contre le mandataire dans la même procédure que s'il la limite à CHF 30,000. Autrement, il devra déposer une nouvelle demande en paiement, dans une procédure ordinaire et distincte, ce qui lui occasionnera de nombreux coûts (rédaction d'une nouvelle écriture, paiement d'une avance de frais en proportion des CHF 50'000.- etc.) et prendra du temps (en raison notamment du dépôt d'une requête de conciliation, suivie d'une action au fond etc.).

Il en est autrement lorsque la demande reconventionnelle vise la constatation négative de droit, soit le constat par un juge de l'inexistence d'une dette/créance ou d'un rapport de droit. En effet, le défendeur a un intérêt à ce que son litige avec le demandeur soit intégralement liquidé dans la procédure pendante, pour diverses raisons (comptabilité interne, liquidités, volonté d'aller de l'avant, etc.). Le défendeur demandera ainsi au Tribunal de rejeter les prétentions (partielles) du demandeur, d'une part, et requerra du Tribunal qu'il constate que le solde des prétentions potentielles non réclamé par le débiteur n'est pas dû, d'autre part.

Dans deux arrêts récents (ATF 143 III 506 et l'arrêt 2A_29/2019 du 10 juillet 2019), le Tribunal fédéral a retenu qu'en cas d'action partielle du demandeur (soumise à la procédure simplifiée), le défendeur pouvait prendre des conclusions reconventionnelles en constatation négative même si la valeur de ses prétentions reconventionnelles excédait CHF 30'000.- (procédure ordinaire).

Reprenant notre exemple ci-dessus, cela signifie que le mandant peut se défendre contre l'action du mandataire en concluant d'une part au rejet des prétentions en paiement de ce dernier (CHF 30'000.-) et d'autre part à la constatation que rien d'autre n'est dû (CHF 10'000.-).

Possibilité d’actions conjointes

Dans certains cas, l'action partielle permet aux créanciers de prétentions distinctes contre un même débiteur d'agir conjointement contre ce débiteur, en tant que consorts simples. Ainsi, un créancier peut réduire ses prétentions à CHF 30'000.- pour agir avec un autre créancier aux prétentions inférieures à CHF 30'000.- (procédure simplifiée). Les avantages d'une action conjointe sont, notamment, la diminution des coûts pour les parties (répartition des frais d'avocats pour la rédaction des mémoires, la préparation et la participation aux audiences) et l'accélération de la procédure (audition groupée des parties et témoins pertinents pour chacun). Elle permet en outre d'éviter des jugements contradictoires dans des cas similaires.

Autres avantages

Lorsqu'un créancier invoque des prétentions difficilement chiffrables et/ou prouvables et n'est donc pas certain d'obtenir le plein de ses prétentions, il préférera, selon les cas, limiter l'étendue de sa demande aux prétentions pour lesquelles il est plus probable qu'il obtiendra gain de cause.

Enfin, l'action partielle permet, en fonction du montant requis en justice, de limiter la possibilité des parties de contester la décision y relative auprès de l'instance supérieure (appel ou recours). Les décisions portant sur montant inférieur à CHF 10'000.- ne pourront être contestées que par un recours, qui est une voie de droit limitée où les faits ne sont en principe pas revus. Les décisions portant sur un montant entre CHF 10'000.- et CHF 29'999.- pourront faire l'objet d'un appel, voie de droit complète où l'autorité supérieure revoit les faits. Dans les deux cas, un recours en matière civile au Tribunal fédéral ne sera pas possible (voie limitée aux prétentions supérieures à CHF 30,000). Seule sera ouverte la voie du recours constitutionnel subsidiaire, dont les conditions de recevabilité sont très strictes et les griefs limités à la violation de droits constitutionnels, difficiles à établir.

Cependant...

Cinq nuances doivent toutefois être apportées aux avantages de l'action partielle.

  • La prescription n'est interrompue que pour le montant partiellement requis en justice. Ainsi, le délai de prescription pour le solde de la créance non réclamé en justice continuera à courir.
  • La décision favorable ne vise pas le solde de la créance non réclamé dans l'action partielle. Par conséquent, reprenant notre exemple, le mandataire qui obtient gain de cause pour sa prétention de CHF 30,000, ne peut en principe pas se fonder sur cette première décision pour réclamer au mandant les CHF 10,000 restants (absence d'autorité de chose jugée). Il devra cas échéant intenter une nouvelle action, dans les limites de l'abus de droit. Une décision favorable lui permettra néanmoins de favoriser des discussions amiables avec le mandant quant au solde.
  • A l'inverse, en cas de rejet des prétentions partielles du créancier, lla question de savoir si celui-ci peut encore agir en justice pour le solde non réclamé desdites prétentions est débattue en doctrine et la jurisprudence n'est pas totalement claire à ce sujet (pour un résumé de la jurisprudence et des avis doctrinaux, cf. Curchod Nicolas, Gonczy Guillaume, L'action partielle, publié in PJA 2019 803, p. 812 ss.).
  • Comme illustré ci-dessus, le débiteur pourra agir en constatation négative de droit, à titre reconventionnel, sans être limité dans ses prétentions. Il pourra donc librement demander au Tribunal de constater que le solde de la créance non réclamé par le créancier n'est pas dû.
  • Le choix d'une action partielle ne doit pas être constitutif d'un abus de droit. L'existence d'un abus de droit dépendra des circonstances du cas d'espèce et du comportement des parties.

Les actions partielles deviendront plus fréquentes

En conclusion, par ses nombreux avantages et depuis le récent allègement de ses exigences formelles, l'action partielle a gagné en intérêt et sera probablement utilisée davantage en pratique. Tel sera notamment le cas des créanciers dont le bien-fondé des prétentions est incertain au-delà d'un certain montant ou dans les situations où les prétentions des parties n'excèdent pas sensiblement CHF 30'000. En outre, et au vu de la jurisprudence renforçant les moyens de défense du défendeur (s'agissant notamment de l'action reconventionnelle en constatation négative de droit), le créancier pourra en principe intenter une action partielle sans que son comportement ne constitue un abus de droit. Toutefois, dans certaines situations, et en particulier si les prétentions alléguées sont élevées, présentent des questions juridiques complexes ou nécessitent diverses mesures en matière de preuve (p.ex. une expertise judiciaire), l'action partielle sera moins attirante pour le créancier sur le plan stratégique. En toutes hypothèses, l'opportunité d'une action partielle dépendra du cas d'espèce et, avant tout, des résultats escomptés.