Les demandes de recouvrement de créances et les injonctions de payer - une possible infraction pénale ?
A cet égard, le Tribunal fédéral a rendu ces derniers temps des décisions dans lesquelles il a confirmé sa jurisprudence, soit qu'une réquisition de poursuite et le commandement de payer en résultant - bien qu'en soi licites - peuvent constituer, dans certaines circonstances, une infraction pénale.
Lancement d'une procédure de recouvrement de créances : Demande de recouvrement et injonction de payer
En droit suisse, un créancier n'a pas besoin de déposer immédiatement une demande contre son débiteur devant les tribunaux pour obtenir le paiement de sa créance en argent. Il peut se contenter de déposer une réquisition de poursuite devant l'Office des poursuites du domicile du débiteur, qui va notifier à ce dernier un « commandement de payer ». Le débiteur peut faire opposition au commandement de payer par une simple mention qui sera apposée sur le commandement de payer. Cette opposition va alors paralyser la procédure de poursuite. Pour aller de l'avant, le créancier va devoir obtenir la levée de l'opposition du débiteur, ce qui nécessite qu'il dépose une action devant les tribunaux dans le cadre de laquelle la validité de sa créance sera examinée. En d'autres termes, ce n'est que si le débiteur fait opposition au commandement de payer que la prétention du créancier est analysée par les tribunaux.
Il s’agit donc d’un moyen simple et pratique de recouvrer des créances, notamment lorsqu’elles ne sont pas contestées. En pratique, la réquisition de poursuite est également souvent utilisée comme un moyen de notifier au débiteur l’intention du créancier de réclamer son dû par voie judiciaire si nécessaire.
Une demande de recouvrement de dettes et l'injonction de payer qui en résulte peuvent constituer une infraction pénale.
Quand bien même il s'agit d'actes légaux, une réquisition de poursuite et un commandement de payer peuvent, suivant les circonstances, constituer une infraction pénale et, en particulier, un acte de contrainte au sens du Code pénal suisse.
Il peut en aller ainsi notamment lorsque le commandement de payer doit être considéré comme un moyen de pression abusif ou immoral. A ce sujet, la jurisprudence considère que se voir notifier un commandement de payer d'une importante somme d'argent est une source de tourments et de poids psychologique. Un tel commandement de payer est donc susceptible d'inciter une personne de sensibilité moyenne à céder à la pression et donc d'entraver considérablement sa liberté de décision ou d'action, ce qui constitue un acte de contrainte. En d'autres termes, s'il est certes licite de faire notifier un commandement de payer lorsqu'on a le droit de réclamer une telle somme, l'utilisation d'un tel procédé comme moyen de pression est illégale.
A noter que d'autres infractions pénales peuvent également entrer en ligne de compte, notamment les infractions pénales protégeant l'honneur. En effet, la loi fédérale sur la poursuite pour dettes et la faillite ("LP") prévoit que le créancier a l'obligation d'indiquer précisément la cause de l'obligation et ne peut se limiter à des termes généraux comme "Créances" ou "Responsabilité", le but étant de renseigner le poursuivi sur la créance alléguée et de lui permettre de prendre position. Or il est possible (et même fréquent) que cette cause consiste en des (soupçons de) violations contractuelles ou d'infractions pénales commises par le débiteur présumé. Ces allégations sont ainsi susceptibles, suivant les circonstances, de constituer une diffamation ou une calomnie.
Les avocats peuvent être tenus pour responsables
Il vaut la peine de souligner que le fait que le client signe lui-même la réquisition de poursuite (comme c'est l'usage dans le cadre de plaintes pénales à Genève, par exemple) ne protège pas l'avocat d'être directement visé par une plainte pénale.
Si l'avocat est la personne ayant conseillé au client de déposer une réquisition de poursuite et l'ayant rédigée (ce qui sera généralement le cas), il pourrait, suivant les circonstances, être considéré comme coauteur, complice ou instigateur de l'infraction.
Autres moyens de défense du débiteur
En plus ou en parallèle à une plainte pénale, le débiteur peut songer à d'autres moyens de défense. Il peut ainsi :
- à certaines conditions déposer une plainte auprès de l'Autorité de surveillance de l'Office des poursuites contre le commandement de payer (art. 17 LP);
- introduire une action en annulation ou en suspension de la créance alléguée (art. 85a LP), à la condition cependant qu'il n'ait pas formé opposition au commandement de payer. Cette condition est toutefois appelée à disparaître, cet article ayant été modifié par le législateur. L'art. 85a LP modifié, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2019 (avec deux autres modifications visant également à améliorer la protection du débiteur contre les poursuites abusives, soit la possibilité de solliciter de l'Office des poursuites qu'il refuse aux tiers l'accès aux inscriptions de ces poursuites dans le registre et celle de demander en tout temps au créancier qu'il produise les preuves à l'appui de sa réquisition de poursuite), permettra également au débiteur qui s'est opposé au commandement de payer de déposer une telle action ; ou encore
- intenter une action en constatation de droit visant à faire constater l'inexistence de la créance alléguée (art. 88 du Code de procédure civile suisse), et ce même s'il s'est opposé au commandement de payer.
Conclusions
Ces récentes décisions du Tribunal fédéral sont un rappel bienvenu que, bien qu'étant une pratique très courante, une réquisition de poursuite et le commandement de payer qui s'en suit ne sont pas des actes dénués de conséquences.
Par conséquent, et avant de déposer une réquisition de poursuite, tout créancier serait bien avisé de vérifier en particulier les points suivants :
- la réquisition de poursuite est-elle nécessaire dans le cas d'espèce (que ce soit pour interrompre la prescription ou pour démarrer la procédure en recouvrement de créances);
- n'est-il pas approprié de tout d'abord contacter le débiteur pour obtenir une déclaration de renonciation à invoquer la prescription; et
- quel est le libellé de la réquisition de poursuite qui peut, respectivement doit, être utilisé.