Nouveau salaire minimum à Genève : enjeux pour les employeurs
Les employeurs doivent désormais adapter leurs relations contractuelles en adéquation avec les modifications induites par l'entrée en vigueur du salaire minimum.
Le présent article ne prétend pas dresser un panorama exhaustif des incidences de cette modification législative mais plutôt de livrer des informations et autres recommandations pratiques. Pour le surplus, le lecteur sera invité à consulter le Mémento sur le salaire minimum de la République et Canton de Genève.
Jusqu'alors, le droit cantonal genevois ne connaissait pas de salaire minimum unifié. Toutefois, les partenaires sociaux ayant conclu un grand nombre de conventions collectives de travail et de contrats-types de travail garantissant des rémunérations minimales, de multiples salaires minimaux coexistaient à Genève, propres à chaque corps de métier.
Champ d'application
Désormais, la loi cantonale genevoise prévoit un salaire horaire minimum brut de CHF 23.-, applicable à tou-te-s les travailleurs/travailleuses "accomplissant habituellement leur travail dans le canton" (art. 39I LIRT). Cet ancrage géographique s'entend au sens de l'art. 34 du Code de procédure civile, à savoir que le lieu doit être déterminé selon les circonstances du cas concret et se trouve là où se localise effectivement le centre de l'activité professionnelle du travailleur (Arrêt du Tribunal fédéral 4A_236/2016, du 23 août 2016, consid. 2 et 5.5.1). Ainsi, dès lors qu'une entreprise, indépendamment du lieu de son siège, déploie une activité sur le sol genevois et que le travailleur y accomplit habituellement son travail, la LIRT s'appliquera et le travailleur/la travailleuse en question devra bénéficier du salaire minimum.
Le salaire horaire minimum brut initial de CHF 23.- devant être indexé "sur la base de l'indice des prix à la consommation du mois d'août" (art. 39K al. 1 et 3 LIRT), il s'élève déjà, depuis le 1er janvier 2021, à CHF 23.14 (Memento sur le salaire minimum [état au 17 novembre 2020], p. 5).
Relevons toutefois que la loi prévoit des exceptions au respect du salaire minimum pour les apprenties, les employées liées par un contrat de stage s'inscrivant dans une formation scolaire ou professionnelle et pour les contrats conclus avec des personnes de moins de 18 ans (art. 39J LIRT). Les contrats de stages comprennent tous les stages "[...] validés par un institut de formation, prévus dans un cursus de formation et/ou d'orientation entre deux formations [et] les stages de réinsertion professionnelle ou sociale dans la mesure où ils relèvent d'un dispositif légal fédéral ou cantonal"(Memento sur le salaire minimum [état au 17 novembre 2020], p. 8 et 9). En matière d'agriculture et de floriculture, les salaires minimaux restent inférieurs à CHF 23.14, tel que prévu par la loi (art. 39K alinéa 2 LIRT cum art. 2 al. 1 let. d de la loi sur le travail dans l'industrie, l'artisanat et le commerce (LTr ; RS 822.11); Memento sur le salaire minimum [état au 17 novembre 2020], p. 4).
Calcul du salaire et exceptions
"Par salaire, il faut entendre le salaire déterminant au sens de la législation en matière d'assurance-vieillesse et survivants, à l'exclusion d'éventuelles indemnités payées pour jours de vacances et pour jours fériés" (ASIA) (art. 39K al. 4 LIRT).
Ainsi, afin de déterminer de la nécessité, ou non, de revoir à la hausse les salaires appliqués à ses employées, l'employeur – tant personne physique que morale – sera bien avisé de prendre en compte l'intégralité des prestations d'ores et déjà versées, que cela soit en espèce ou en nature, à ces derniers/dernières.
En effet, le salaire contractuel devra être adapté en tenant compte d'éventuels suppléments qui pourraient échoir dans la composition du salaire AVS, tels que "les allocations de résidence, les gratifications, les cadeaux pour ancienneté, les pourboires ou taxes de service (s'ils présentent une part importante du salaire), les prestations en nature ayant un caractère régulier (nourriture, logement, utilisation à des fins privées d'une voiture de service, etc)" (Memento sur le salaire minimum [état au 17 novembre 2020], p. 5). La liste exhaustive des rémunérations à prendre en compte dans le calcul du salaire déterminant au sens de l'AVS peut être parcourue ici.
Le salaire mensuel brut minimum, versé douze fois l'an, s'élève donc à 4'007.85 CHF (pour un salaire horaire minimum de CHF 23.14, 40 heures hebdomadaires et une moyenne de 4,33 semaines travaillées).
Il sied toutefois de préciser que dans l'hypothèse où le salaire serait versé treize fois l'an, le montant horaire minimum sera alors réduit à CHF 21.36 (pour l'an 2021) ; le salaire horaire étant de facto réduit au pro rata.
Si les droits afférents aux vacances et aux jours fériés, ainsi que la part au treizième salaire, sont inclus dans le salaire – notamment dans les contrats de travail convenant d'une rémunération horaire et contrats "sur appel" – il conviendra d'ajouter, à la clef de calcul susmentionnée, les indemnités relatives aux jours fériés (0,41 % du salaire de base par jour férié), au droit aux vacances (8.33 % du salaire de base pour quatre semaines de vacances) ainsi que la part au treizième salaire (8.33 % du salaire de base) ; montants qui sont, pour rappel, exclus du salaire minimum de base (art. 39K al. 4 LIRT); Memento sur le salaire minimum [état au 17 novembre 2020], p. 8 et 10s).
Les employeurs doivent impérativement garder à l'esprit que la loi impose une adaptation automatique des salaires déjà prévus dans les contrats existants (contrats individuels, conventions collectives et contrat-types – art. 39L LIRT) de sorte que le nouveau salaire minimum est automatiquement applicable depuis le 1er novembre 2020. Les employeurs sont donc tenus de vérifier et augmenter de leur propre chef les salaires de leurs employées si ces derniers devaient être inférieurs au nouveau salaire minimum.
Les salaires minimaux prévus dans une grande majorité des conventions collectives ou des contrats-types ont eux aussi, par conséquent, été revus à la hausse (Rapport de la commission de l'économie chargée d'étudier l'initiative populaire 173, du 7 octobre 2019, p. 30); notamment dans les domaines de l'économie domestique, du commerce de détail, du secteur du nettoyage en bâtiment, de l'hôtellerie/restauration, des employés de banques, mais également des bureaux d'architectes.
À noter que cette augmentation de salaire peut entraîner d'autres conséquences sur la masse salariale d'une entreprise, en particulier un ajustement des cotisations sociales, le cas échéant de l'impôt à la source prélevé par l'employeur, ou encore une modification de la police d'assurance accident conclue par l'employeur.
Contrôles et sanctions
Le respect du salaire minimum fait l'objet de contrôles (art. 39M LIRT) et toute violation peut être sanctionnée par une amende administrative de CHF 30'000.- au plus (art. 39N al. 1 LIRT) – montant pouvant être doublé en cas de récidive (art. 39N al. 1 LIRT).
Si des entreprises sont soumises à des usages professionnels (art. 25 LIRT), en particulier du fait de leur participation à un marché public, le montant maximal de l’amende s’élève à CHF 60'000.- au plus (art. 45 al. 1 let. b LIRT). Cette amende peut être cumulée avec une décision de refus de délivrance d’une attestation de respect des usages, pour une durée de trois mois à cinq ans (art. 45 al. 1 let. a et al. 2 LIRT) et à l’exclusion de tout marché public pour une période de cinq ans au plus (art. 45 al. 1 let. c et al. 2 LIRT).
Enfin, et comme cela l'avait été décrié par les opposants à l'initiative, si un employeur peut certes être amené à faire de ce salaire minimum un salaire de référence au sein de son entreprise, il sied de préciser que toute modification défavorable des conditions contractuelles existantes, notamment salariales, ne pourra être entreprise que par la voie du congé-modification. À ce titre, une résiliation du contrat de travail – en raison du refus du salarié de voir son salaire diminuer – pourrait être qualifiée d'abusive (art. 336 CO) si elle devait avoir pour conséquence de faire pression sur l'employé-e afin qu'il/elle accepte une modification défavorable dudit contrat ; ce, alors même que ni les conditions du marché, ni la situation économique de l’entreprise ne l’imposent (Arrêt du Tribunal fédéral 4C.209/2002, du 28 novembre 2002, c. 2.1 ; ATF 125 III 70 consid. 2a ; ATF 123 III 246 consid. 3b).
Pour le surplus, nous demeurons à disposition pour répondre aux éventuelles questions que vous pourriez avoir dans le cadre de l'adaptation de vos relations contractuelles face à cette modification législative.